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mercredi 17 février 2016

Questions citoyennes à Swissuniversities (1)

Pour une nouvelle gouvernance des projets SLSP et Licences Nationales


Réaction à la publication Der ETH-Bereich und Elsevier Teil 1 et Teil 2


Dans le contexte tendu des restrictions budgétaires à la recherche et à l’éducation en Suisse, il semblerait judicieux d’évaluer les potentiels d’économie par l’amélioration de la maîtrise des coûts à l’information scientifique. C’est pourquoi, j’adresse aux acteurs précités quelques questions basées sur les lectures récentes Der ETH-Bereich und Elsevier: Teil 1, Der ETH-Bereich und Elsevier : Teil 2 et quelques autres, en accès libre [1]. On y trouve des compte-rendus de session du Conseil des Ecoles Polytechniques Fédérales (CEPF) au sujet des négociations entre Consortium et Elsevier pour les licences nationales dans les années 2010, les montants des licences des Universités, et des échanges de mail entre différentes instances. Ces documents démontrent clairement que la recherche « des meilleurs prix » de licences auprès des éditeurs n’a pas été entreprise et les raisons doivent être examinées. Des nouvelles structures, des clarifications juridiques et financières, et des renouvellements de gouvernance doivent être entrepris pour la création de services à l’information scientifique performants pour les chercheurs et étudiants de toutes les Hautes Ecoles suisses.



Les recommandations énoncées il y a 6 ans par M. David Aymonin et publiées dans Der ETH-Bereich und Elsevier Teil 1, Der ETH-Bereich und Elsevier Teil 2 semblent être encore d’actualité, et c’est pourquoi je me permets de les reformuler: 
1. Les coûts des licences nationales devraient être transparents et publiés chaque année : le Consortium ne devrait plus signer de contrats comportant des Non Disclosure Agreements (NDA), suivant l’exemple de certaines universités américaines? 

2. Un accès garanti gratuit aux « backfiles » devrait être systématiquement exigé pour les journaux sous licences nationales? 

3. Une analyse des prix et des relations commerciales entre le Consortium et éditeurs scientifiques Elsevier, Wiley, Springer, AAAS, Taylor et Francis devrait être entreprise par des spécialistes indépendants. Il faudra déterminer pourquoi les prix payés à Elsevier et autres éditeurs n’ont cessé de grimper depuis 15 ans et pourquoi les prix payés sont plus hauts que dans les pays européens et américains, sans raison identifiée pour le moment. Puisque les compte-rendus de sessions du CEPF sont publics, et que la plupart des coûts pour les licences Elsevier le sont aussi depuis 2015 (Zahlungen der Universität Zurich et Intransparenz bei den Bibliotheksausgaben von Schweizer Hochschulen), plus rien ne s’oppose à l’engagement de spécialistes indépendants et à la publication de l’analyse, comme demandé, mais jamais réalisé depuis 2010? 

4. SwissUniversities pourrait dénoncer les pratiques de l'éditeur Elsevier à la COMCO pour abus de position dominante et tentative de vente liée. Swissuniversities pourrait lancer une campagne de presse dénonçant Ies pratiques indélicates des éditeurs vis-à- vis de la communauté scientifique suisse (tarifs surévalués, augmentation de tarif abusif, vente liée), afin de l'amener à revoir sa position et à obtenir Ie soutien des chercheurs de Swissuniversities ?

5. Le CEPF devrait se doter rapidement d'une entité juridique pouvant négocier une licence globale Elsevier pour Ie Domaine EPF dans son ensemble, de manière séparée ou au sein du Consortium des Bibliothèques. Ceci afin de diminuer Ie coût global et de renforcer la position à la table des négociations ? 

De ces documents, il est possible aussi d’émettre la recommandation suivante :

6. Les calculs Equivalents Temps Pleins (ETP ou FTE and anglais FTE) devraient être générés par chaque institution et non pas par le Consortium des Bibliothèques travaillant avec des statistiques nationales générales sur le nombre d’étudiants et de chercheurs, avant leur envoi aux éditeurs afin de baisser les prix des licences nationales (voir p.15 de l’échange de mails 2009)?

A ces points, j’y ajouterais suivants : 

7. Une politique concertée Open Access devrait être mise en place coordonnée entre un Consortium des Bibliothèques renouvelé et le principal pourvoyeur de fonds de recherche en Suisse, le FNS, afin d’obtenir, au minimum, les publications gratuites Open Access dans des journaux hybrides sous licence. La Hollande en 2015 a obtenu par négociation ce type d’arrangement afin de minimiser le "double dipping" (Unique deal, Elsevier agrees to make some papers by Dutch authors free) ? Au mieux, une coordination entre Consortium des Bibliothèques et FNS pourrait aboutir à une véritable politique concertée en matière d’Open Access? 

8. Des outils d’analyse des dépenses de tous les types de publication doivent rapidement être mis en place. Si les dépenses du Consortium et des bibliothèques institutionnelles sont quantifiables, les dépenses liées aux publications gold-Open Access (OA) et hybrides ne le sont pas. Il faut mettre en place dans chaque Haute-Ecole, un outil comptable analytique sérieux (reporting) des dépenses de la publication Open-Access gold et hybride. Actuellement, seules des approximations des dépenses gold-OA par reconstitution sont possibles, de type Zahlungen Universität Bern. A terme, la publication gold-OA pourrait égaler ou être plus chère que le modèle des suscriptions: les éditeurs ont trouvé le moyen de multiplier leurs chiffres d’affaires par l’addition de sources d’argent des fonds de recherche et de fonds de fonctionnement des laboratoires qui s’ajoutent aux budgets des bibliothèques. (voir commentaire à Der ETH-Bereich und Elsevier: Teil 1). Puisque ni les bibliothèques, ni le FNS ne paient pour la publication dans des journaux hybrides, quels sont les fonds qui financent ce type de publication OA? 

La Centrale du réseau NEBIS est directement rattachée à la bibliothèque de l’ETH, qui se charge de la coordination et de l’administration du réseau. Si l’utilisation IT, de ressources humaines pour la coordination et ressources administrative de l’ETH est un atout pour les petites bibliothèques du réseau suisse qui n’ont pas ces moyens, de nombreuses questions de représentativité se posent : quels sont les coûts pour les membres, quelles seraient les améliorations de structures ? Mon expérience personnelle m’a montré que l’accès à l’information d’un utilisateur hors ETHZ est moins bon par rapport à un utilisateur ETH : les interfaces utilisateurs NEBIS et ETH sont inégales en qualité, il n’y a pas d’accès direct aux ebooks de l’ETH, aucun livre imprimé de l’Université de Zürich n’est livrable (pas de prêt en réseau) alors que cette collection est l’une des plus grandes du catalogue, pas de possibilité de livraison gratuite des livres imprimés dans les antennes romandes de recherche de l’EPFL (Neuchâtel, Fribourg, Valais, Genève). 

A la lecture de Sur de bons rails vers une plate-forme de services pour l'information scientifique datant de l’automne 2015, il est facile de comprendre que le Consortium n’a jamais eu de statut juridique, ce qui est stupéfiant, étant donné les montants en jeu de plusieurs millions annuels. Cette information laisser penser à une perméabilité entre ETH et Consortium depuis les années 2000, posant alors la question de la représentativité des intérêts des hautes écoles suisses. Le chef de projet de Licences Nationales CUS-P2 est M. Rafael Ball, actuellement directeur de la bibliothèque ETH. Le document précité évoque l’incorporation de Licences nationales (donc Consortium?) dans SLSP, alors que SLSP est un pré-projet. Le projet Licences Nationales financé par CUS-P2 ne semble pas être un projet de recherche, mais donne l’impression d’être une tentative de sauvetage juridique du Consortium.

Enfin, je m’étonne aussi d’une étrange configuration : M. Wolfram Neubauer, ex-directeur de la bibliothèque de l’ETH, ex- chef de projet au Consortium, et responsable ETH dans le réseau NEBIS, a déposé le projet SLSP à CUS-P2 en février 2015 juste avant la prise de fonction de son successeur à la direction de la bibliothèque de l’ETH, M. Rafael Ball, le 1er mars 2015. Le blog SLSP mentionne son nom en tant que chef de projet.

9. SwissUniversities devrait créer des entités NEBIS/SLSP et Consortium/Licences Nationales séparées juridiquement et financièrement de l’ETH, afin d’augmenter la représentativité des intérêts de toutes les hautes écoles de SwissUniversities?

10. SwissUniversities devrait définir quels sont les cumuls de fonctions possibles au sein des futurs services pour l’information scientifique (direction de bibliothèque, direction de réseau Nebis ->projet SLSP, direction Consortium -> projet Licences Nationales)? 

11. Une personne de plus de 65 ans (voir Vernetztes Wissen. Online. Die Bibliothek als Managementaufgabe, Festschrift für Wolfram Neubauer zum 65. Geburtstag2015 De Gruyter) officiellement à la retraite est-elle habilitée à diriger un pré-projet de 2 ans financé par la Confédération d’un montant de près d’un million de francs suisse (SLSP)?
[Attention: ajout du 19.02.2016, à 22:28. Depuis août 2015, le maintien en emploi au-delà de l’âge de la retraite au sein de l’administration fédérale, voir aussi postulat Lehmann, et article 24h]. 
Cette nouvelle disposition s'applique-t-elle aussi à l'attribution de fond de recherche pour un projet qui débute?

A la lecture des compte-rendus des années 2010 des sessions du CEPF, j’ai le sentiment que des questionnements pertinents ont été systématiquement écartés par M. Neubauer.

12. Pourquoi le CEPF n’a-t-il pas réussi à faire appliquer au Consortium des Bibliothèques sa demande de création d’une commission d’expertise ? Le travail d’une commission d’expertise pour mieux négocier avec Elsevier n’a jamais démarré, en raison de la clause de confidentialité des prix des licences nationales (NDA) invoquée par le Consortium, l’empêchant de montrer ses contrats à des experts externes. En 2012, le CEPF a demandé au Consortium de cesser de signer des contrats contenant de clauses de confidentialité dans le round des négociations Elsevier en 2014. 

13. Quel est le résultat des négociations du Consortium avec Elsevier en 2014 ? Les nouveaux contrats comprennent-ils encore des NDA?

Le 2 février 2016, la liste de diffusion du comité CUS-P2 a communiqué :

Le Secrétaire d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation a demandé à Swissuniversities de diriger l’élaboration d’une stratégie nationale pour l’Open Access (libre accès) en collaboration avec le Fonds national suisse. Le SEFRI estime que des mesures sont nécessaires dans les domaines suivants:
  • Encourager l’Open Access comme objectif transversal. 
  • Assurer la transparence des coûts dans les dépenses publiques du domaine des publications scientifiques.
  • Coordonner les activités des parties prenantes – ceci en impliquant également les bibliothèques du côté des hautes écoles. (…)
Dans ce contexte, les mesures de mise en œuvre du programme CUS P-2 dans le domaine de l’Open Access revêtent une importance nouvelle. Le programme soutient déjà une analyse financière des publications scientifiques suisses, mandatée par le Fonds national. L'analyse développera aussi des scénarios pour le libre accès en Suisse. SLSP, SwissBiB et Licences Nationales sont des projets CUS-P2. Mais ils ne peuvent être simplement la prolongation historique des services NEBIS, SwissBiB et Consortium. SLSP, SwissBib et Licences Nationales doivent s’articuler entre eux : les rôles, les statuts juridiques, les relations et les responsabilités doivent être impérativement et rapidement définis, pour éviter la situation d’isolement et de concurrence qui a prévalu ces 5 dernières années entre les services NEBIS, SwissBiB et Consortium, et répéter une domination de fait de l’ETH dans le paysage de l’information scientifique en Suisse. Je doute que M. Neubauer soit la meilleure personne pour représenter les intérêts des universités, EPF et HES de Suisse dans le projet SLSP, qui devrait pouvoir bénéficier d’un nouveau souffle par le renouvellement de son leader. La "succession" de facto de M. Rafael Ball à M. Neubauer de CBU au projet Licences Nationales doit aussi être éclaircie. Plus encore, SLSP, SwissBib et Licences Nationales doivent refléter les politiques Open-Access des principaux acteurs de financement de la recherche en Suisse le FNS et la CTI, qui doivent être inclus dès maintenant à ces pré-projets de services aux chercheurs, afin d’obtenir enfin les meilleurs prix dans le contexte tendu des restrictions budgétaires à la recherche et à l’éducation (le FNS ou CTI ne sont jamais mentionnés comme partenaires dans la présentation des projets CUS-P2)

Ces remarques font échos à une des conclusions de fin d’activité de la Commission extra-parlementaire de la Bibliothèque Nationale 2008-2015, qui souligne "l’importance de l’encouragement de l’extension des prestations du projet SLSP à d’autres partenaires bibliothécaires et acteurs non-bibliothécaires".

Bon vent au nouveau programme du SEFRI chargé d’encourager l’OA, et d’assurer la transparence des coûts, y compris ceux de l’OA Gold et Hybride, et d’avoir le courage de reconsidérer et clarifier les responsabilités de projet des parties prenantes révélées par Wisspub.net.




[1] L’auteur ne fait partie actuellement d’aucune université ou projet CUS-P2, et donc : (i) ne connaît donc pas les discussions internes aux projets en temps réel (ii) se base uniquement sur les informations disponibles en accès libre, générant sans doute des approximations ou des inexactitudes. Les lecteurs sont invités à les corriger ou les préciser. 

1 commentaire:

  1. Depuis août 2015, le maintien en emploi au-delà de l’âge de la retraite au sein de l’administration fédérale (voir aussi postulat Lehmann, et article 24h]. Cette nouvelle disposition s'applique-t-elle aussi à l'attribution de fond de recherche pour un projet qui débute?

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